Incompétence, corruption, crise générale : le droit à l’éducation des enfants fait office de Bouc émissaire en Haïti !

CP: unenafantparlamain.org

La démocratie, dans sa dimension sociale, chez nous, n’existe qu’à l’Etat de trace. Si l’affirmation qui précède est un secret, ce n’est qu’un secret de polichinelle. C’est en effet plus qu’une évidence, qu’au pays de DESSALINES que les notions relatives aux droits humains les plus fondamentaux sont méprisées par l’Etat comme par les leaders de l’Opposition politique et ignorées par les Citoyens à l’égard desquels l’Etat est responsable de la garantie de ces droits dits inaliénables, imprescriptibles et sacrés.

Toujours est-il que, en dépit des dispositions de la Constitution en vigueur, celle du 29 mars 1987, peu importe la version considérée, la société haïtienne est encore loin de ce qui doit être. Or, la Charte de 1987 dont l’esprit est traversé par les quatre grands principes suivants : le pluralisme politique, la séparation des trois pouvoirs, l’alternative politique et le strict respect des droits fondamentaux se veut être un projet de société instituant en faveur du peuple haïtien les valeurs démocratiques et républicaines, à travers les différentes générations de Droits humains définies par la Charte de San Francisco du 24 octobre 1945 dont l’État d’Haïti, sous l’égide d’Elie Lescot, s’est activement représenté lors de la rédaction, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) du 10 décembre 1948 dont le diplomate et homme d’Etat, le Sénateur de l’Ouest, Emile Saint-Lot, l’une des gloires des annales de l’intelligentsia haïtienne, a joué un rôle considérable dans l’élaboration.

Sachant que la fameuse DUDH, malgré sa portée universelle, ne se confine qu’ à une valeur morale, il convient donc d’évoquer les instruments normatifs de sa mise en œuvre, à savoir le Pacte International Relatif aux Droits Civils et Politiques (PIRDCP) et le Pacte International Relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels (PIRDESC), adoptés tous deux le16 décembre 1966. C’est deux instruments à vocation universels consacrant respectivement les dimensions politique et sociale de la démocratie, en prescrivant aux Etats signataires les respects des quatre Générations de Droit de l’Homme. Et, il est de bon ton de préciser que le PIRDCP a bel et bien été ratifié par Haïti et entré en vigueur conformément au décret de l’Assemblée Nationale du 23 novembre 1990, publié dans le Moniteur No 2 du 7 janvier 1991, et, quant au PIRDESC, sa ratification remonte au 31 janvier 2012, même si, jusqu’à date, il demeure non paru dans le journal officiel de la République 1.

Il faut rappeler que le destin d’Haïti au cœur de l’histoire de la construction de l’édifice des valeurs universelles se manifeste aussi et surtout par le fait que l’aspiration aux Droits inhérents à la dignité de la personne humaine constituait, avant la lettre, le fondement même de l’émergence historique de la Première République Nègre de l’Hémisphère Nord dans le concert des nations libres et indépendantes !

Dans cet ordre d’idée, il faut chercher la source d’inspiration de l’esprit de la Constitution de 1987 aussi, voire surtout, sur le plan interne, c’est-à-dire non seulement la Constitution haïtienne en vigueur se veut être en conformité à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, elle également et surtout conforme à l’Acte de l’Indépendance de 1804. Ce qui va sans dire que la Charte de 1987 a été proclamé en vue de garantir les droits inaliénables, imprescriptibles et sacrés du Peuple haïtien. Pourtant, toujours est-il que les descendants des martyrs de la liberté comme Boukman, Mackandal, Sans-Souci ou des fondateurs de patrie comme Toussaint, Dessalines, Christophe ou Pétion et consorts, voient leurs droits systématiquement violés et bafoués par ceux-là même qui sont appelés à les défendre, les respecter et les faire respecter. Et, au nombre de ces droits élémentaires mutilés par nos hommes politiques, il importe de mentionner un droit culturel que représente le Droit à l’éducation, à l’image des scenarios de la conjecture haïtienne actuelle. Il convient d’analyser les faits :

La dernière période des annales historiques d’Haïti, dite de Transition démocratique est marquée par une série de crise interminable. A cet égard, Jovenel Moïse, le Chef d’Etat en fonction d’Haïti, lors de la période des campagnes a promis la stabilité politique qui, de l’avis de l’élu du Parti Haïtien Têt Kale (PHTK) est le plus grand bien public. C’est à juste titre, car l’article 136 de la Constitution haïtienne en vigueur prévoit ce qui suit : « Le Président de la République, Chef de l’État, veille au respect et à l’exécution de la Constitution et la stabilité des institutions. Il assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État. » Pourtant, le mandat du successeur du Président intérimaire Jocelerme Privert constitue l’une des pages d’Histoire haïtienne.

En effet, pendant la présidence de M. Moïse, le pays vient de connaitre des moments successifs de troubles et de turbulences politiques faisant allusion à 16 mois de mobilisations à des dates différentes dont le déclenchement remonte au 6 juillet 2018, suite à la décision impopulaire du Gouvernement consistant à ajuster les prix des produits pétroliers à la pompe pour se conformer à une entente avec le Fond Monétaire International (FMI).

En termes d’analyse, il faut préciser que la décision gouvernementale impopulaire ayant prêté le flanc à l’émeute du 6 juillet 2018 n’a été que la cause occasionnelle des séries de soulèvements populaires en ce sens que les pouvoirs politiques de concert avec l’élite économique du pays se trouvent assis sur une poudrière explosive faisant allusion au système politique actuel logiquement et justement décrié. En plus, il faut chercher l’explication de la crise dans le déficit de légitimité du Président Moise, car, en ce qui concerne ses élections en 2016, le taux de participation a été plus faible que jamais : 21% selon le Conseil Électoral Provisoire (CEP). Et, s’il faut le rapporter à la population totale, cela veut dire que M. Moïse aurait été élu par seulement 10% des Haïtiens. Ce qui traduit une crise de légitimité du point de vue du scrutin. Qui pis est, il s’agit de mentionner également l’incapacité du Chef de l’Etat de tenir ses nombreuses promesses de campagne, synonyme de son impuissance manifeste face aux obligations constitutionnelles et aux défis de la modernité relative aux existences propres aux valeurs universelles. Comment donc le mandat d’ un président ayant été déjà préalablement rendu fragile par : son inculpation sur la base du dossier de l’Unité Centrale de Renseignement Financier (UCREF), sa remarquable et intolérable implication dans la première partie du rapport de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA) relatif procès tant escompté du Petrocaribe et son usurpation de titre d’ingénieur agricole pour être plus précaire?

C’est ainsi que peut se comprendre les causes profondes et occasionnelles du revirement des anciens alliés du Chef de l’État et du régime au pouvoir venant renforcer l’Opposition politique qui, en volant la vedette à la jeunesse consciente du pays dont les petrochallengers aspirant à sonner le glas de la corruption, de l’injustice, voire de tout le vieux système politique d’Haïti, pour, eux-mêmes, à leur tour réclamer et obtenir le départ de Jovenel Moïse.

Il est de bon ton de souligner les limites et faiblesses de ces derniers mouvements populaires en ce sens que ce sont des traditionnelles manifestations de rue se déroulant par des hommes qui, comme l’équipe au pouvoir, sont : sans vision politique, sans aucun nouveau projet de société et incapable de proposer aucune alternative.

Et qui pis est, les stratagèmes utilisés par les opposants à Jovenel Moïse renforcés par les anciens alliés de l’équipe « têt kalé », comme les ripostes du gouvernement, consistent en la violation des droits sociaux, économiques et culturels des gens appartenant aux couches les plus pauvres. Donc, il s’agit de voir en ces formes de mouvements, des luttes dont les enjeux de pérennisation et le contrôle des ressources du pays, à travers les régimes politique, social et économique constitutif du système politique décrié. Donc, loin d’être un antagonisme politico-idéologique, il s’agit surtout de ce que Karl Marx2 appelle justement une lutte de classe. En effet, les protagonistes des deux camps n’étendent s’entendre au tour d’un nouveau contrat social en vue d’aboutir à une solution profonde de la crise haïtienne dans l’intérêt de tous et surtout de la grande majorité. Donc, les rivalités politiques haïtiennes sont évidemment mobilisées par ce qu’Alexis de Tocqueville 3 appelle justement l’aspiration à l’égalité. Cette dernière, étant susceptible d’engendrer ce que l’auteur appelle l’individualisme méthodologique, un phénomène comportemental qui se révèle pathologique au bon fonctionnement d’une société : radiographie d’une crise totale !

Parmi les grands perdants à la crise générale haïtienne cristallisée par l’incompétence du Chef de l’État, caractérisée par la faiblesse institutionnelle, amplifiée par la mesquinerie de la classe politique, l’intransigeance de l’élite économique, la complicité d’une bonne partie de la presse et le manque d’engagement de l’intelligentsia et de la communauté artistique du pays et profitable aux Puissances impérialistes, il convient notamment de mentionner, les élèves issus des couches sociales défavorisées, leurs parents se trouvant décapitalisés et les enseignants dont les conditions de vie sont également vulnérables se trouvant privés de leurs sources de revenus.

En effet, lors des derniers troubles du phénomène de « pays lock », les activités scolaires, comme les activités économiques du secteur dit informel, ont été tout à fait paralysées. Entres autres, en juin 2019 les épreuves du baccalauréat pour l’année académique 2018-2019 ont failli être boycottées et en cette même année civile, dans presque tout le pays, la quasi-totalité du premier trimestre du calendrier scolaire 2019-2020 a été boycottée. Ce qui constitue une violation flagrante du droit à l’éducation.

La solution apparente et momentanée à cette situation de crise arrive à un moment où le pays devait commencer à se préparer à affronter la crise sanitaire mondiale de la coronavirus. À cet égard, le gouvernement haïtien depuis mi-mars a décrété l’état d’urgence sanitaire sur tout le pays et mêmes les portes des écoles, dans tout le pays, se trouvent depuis à nouveau fermées. Cette fois-ci, à cause de la pandémie de la Covid 19, le prétexte pour priver les enfants d’Haïti de leur droit à l’éducation parait a priori fondé. Mais il faut préciser que c’est ici le point de vue de ceux qui, malheureusement, ne veulent pas aller à l’analyse ; il convient de souligner que c’est une opinion superficielle, naïve et partisane ! Car, la géolocalisation et l’évolution de la maladie à la létalité relative montre clairement que les espaces géographique les premiers et les plus touchés par la Coronavirus ne sont que ceux les plus ouvrir sur le monde. Ce qui va sans qu’à partir de son origine chinoise, c’est le phénomène de la Mondialisation qui donne à la maladie son ampleur de pandémique. Donc, concernant un pays comme le nôtre n’ayant qu’un seul aéroport international et des ouvertures frontalières avec la Républicaine, ne serait-ce pas mieux d’observer l’immunité collective? À quoi être si prompte à fermer les portes des écoles? Or, l’école, entant qu’agent de socialisation et espace d’acquisition des savoirs scientifiques pourrait à ce stade de la crise servir de canal de promotion des comportements et des mesures d’hygiène à adopter en raison de la pandémie.

D’ailleurs, à l’heure du numérique, des Technologies de l’Information et la Communication (TIC) et, qui plus est, dans le contexte évolutif actuel de la Mondialisation, où le téléphone, l’informatique, l’internet, l’audiovisuel, les mass medias, les multimédias et les télécommunications sont omniprésentes dans toutes les sphères d’activité, il s’avère intolérable et inacceptable de voir le paysage éducatif haïtien privé de matériels didactique numérique. Il est de la responsabilité de l’État et des gouvernements de faciliter l’enseignement-apprentissage des enfants même en temps crise. Concernant un Etat signataire de la Convention Internationale des Droits de l’enfant 4 , il est inconcevable de voir le Droit à l’éducation des enfants violé systématiquement et à tout bout de champs.

De guerre lasse ! Quand nos hommes politiques, dans leur mesquinerie, sans vision patriotique, sans projet politique se querellent pour le contrôle des espaces décisionnels. Quand les hommes aux pouvoirs utilisent des stratagèmes pour s’enrichir, c’est toujours le Droit à l’éducation des mômes de la classe défavorisée qui en paie les frais.

Neemy REGISTRE

Master en éducation, élève-avocat à l’École du barreau des Gonaïves, Citoyen engagé
neemyregistre@gmail.com

Voir Patrick Pélissier, DIDH, codes des Droits de l’Homme, tome I, Editions des Antilles S.A. Port-au-Prince, 2012.

Karl Marx est un philosophe, historien, sociologue, économiste, journaliste, théoricien de la révolution, socialiste et communiste allemand, auteur de : Manifeste du parti communiste (1848), Argent, Etat et Prolétariat (1844)

Alexis-Henri-Charles Clérel, compte de Tocqueville est un philosophe politique, politiste, précurseur de la sociologie et homme politique français, auteur de : De la démocratie en Amérique (1840), L’Ancien Régime et la Révolution (1856).

La Convention Internationale relative aux Droits de l’enfant du 2 septembre 1989 a été ratifiée par Haïti et entre en vigueur conformément au décret de l’Assemblée Nationale du 30 décembre 1994, publié dans le Moniteur No 21 du 13 mars 1995

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