« Les entreprises de l’Economie sociale et Solidaire
ne sont pas des entreprises comme les autres,
mais comme les autres ce sont des entreprises »
(Demoustier, 2012)
Entreprendre autrement, voici en effet la manière dont les tenants de l’économie sociale et solidaire identifient ce secteur qui rassemble l’ensemble des activités économiques à finalité sociale réalisées dans le cadre des entreprises. Exerçant un impact de plus en plus significatif, ce « mode d’entreprendre » reposant sur un but poursuivi autre que le partage des bénéfices, une gouvernance démocratique, une gestion qui réinvestit les excédents et rend les réserves impartageables, rassemble les entreprises coopératives, mutualistes, et associatives. S’inscrivant dans une perspective marchande comme les entreprises classiques, ces entreprises faisant partie de ce secteur sont appelées à rendre pérenne leurs activités et parfois même se lancent dans l’univers concurrentiel. Ce faisant, elles sont même soumises à un isomorphisme institutionnel et au fil du temps leur ressemblance avec les autres entreprises s’accentue. Cependant vu la primauté de la personne et de l’objet social, ces entreprises ont su garder leur statut particulier, ce qui amène à les considérer comme des entreprises différentes, mais soumises comme les autres aux mêmes exigences du marché. Ainsi, considérant une telle spécificité, que pouvons-nous attendre d’une entreprise de l’Economie sociale et Solidaire ? Comment évaluer sa performance ? Quels sont les paramètres à prendre en compte pour procéder à l’évaluation de la performance de cette dernière ?
Spécificités des entreprises de l’Economie sociale et Solidaire
Comme il a été spécifié à travers la littérature, l’économie sociale regroupe les coopératives, les mutuelles et les associations à vocation gestionnaire. Leurs statuts légaux concrétisent l’existence d’entreprises « non capitalistes », au sens où elles n’offrent pas aux actionnaires l’ensemble du pouvoir ni sur le plan des décisions ni sur celui de la redistribution des surplus. Ainsi, l’économie sociale met l’accent sur l’ensemble formé par des organisations dans lesquelles la distribution des profits aux porteurs de capitaux est soumise à des restrictions. Dans cette perspective, le critère discriminant concerne les limites apportées à l’appropriation privée des bénéfices réalisés sur l’activité, il confère aux organisations d’économie sociale leur différence par rapport aux autres organisations productives.
De plus, se référant à la déclaration du Comité National de Liaison des Activités Mutualistes Coopératives et Associatives (CNLAMCA[1]), la différence de ces entreprises résulte du fait qu’elles sont nées d’une volonté de solidarité au service de l’homme, elles privilégient le service rendu par rapport au profit dégagé et intègrent dans la vie économique la dimension sociale (CNLAMCA, 2000).
Et par rapport à une telle spécificité, il rappelle que leur objectif est de réaliser la rentabilité sociale et pas seulement économique, d’être au service du plus grand nombre, de dégager des bénéfices au profit de tous et non de quelques-uns, de développer la solidarité et la justice sociale pour aider à l’émancipation de l’Homme.
Ainsi, pour arriver à atteindre un tel objectif, ces entreprises s’inscrivent sur le marché comme les entreprises classiques et vivent dans cette économie. Et pour la grande majorité, elles sont soumises aux influences d’un univers concurrentiel. Il arrive même le cas où certaines d’entre elles, le plus souvent associatives, sont confrontées à la marchandisation de l’économie. Pour ce faire, l’économie sociale et solidaire se lance dans des activités de production de biens ou de services mises en œuvre par les personnes morales de droit privé, constituées sous la forme de coopératives, de mutuelles, de fondations ou d’associations ou dans un cadre plus large par des sociétés commerciales, qui, aux termes de leurs statuts respectent un ensemble de conditions allant de l’utilité sociale jusqu’à la répartition des bénéfices. Ensuite, avec l’appropriation des entreprises sociales par le secteur de l’économie sociale et solidaire, on remarque un penchant beaucoup plus poussé vers l’aspect économique, car tel qu’il est relaté à travers les écrits, faire de l’entrepreneuriat social consiste à créer une activité économique viable pour répondre aux besoins sociaux et environnementaux. De là, on remarque un souci majeur pour ces entreprises de rendre pérennes leurs activités, d’où la question de la performance de ces dernières qui est plus qu’essentielle, voire plus complexe que dans le cas des entreprises classiques.
La question de la performance dans le cadre des entreprises de l’ESS
Au regard des spécificités du champ de l’économie sociale et solidaire, il s’avère complexe aujourd’hui de procéder à l’évaluation d’une entreprise faisant partie de ce champ afin de statuer sur sa performance. Sans entrer dans les débats sur la cohabitation du lucre et la finalité sociale, et sans mettre en question les indicateurs pour mesurer l’« impact social », l’ « utilité sociale » de ces organismes, faisons le point sur la performance de l’entreprise de l’ESS.
Tout d’abord, dans le cadre des entreprises en général, la notion de la performance fait référence à l’atteinte d’objectifs ou de résultats attendus. De manière plus précise, elle se définit comme la capacité à agir selon des critères d’optimalité très variés, afin d’obtenir la production d’un résultat tout en favorisant la création de valeur. Ainsi, si dans le monde des entreprises classiques, cette création de valeur est assimilée à l’accroissement du profit, en ESS elle est entendue comme une optimisation du service rendu aux adhérents ou aux sociétaires. De ce fait, par rapport à cette différence en termes d’objectivité et du fait de la spécificité des entreprises de l’ESS, la question de la performance est vue sous un angle beaucoup plus englobant. D’où la pertinence de la question de la performance globale[2] qui est assimilée à une entreprise lorsque celle-ci atteint les objectifs qu’elle s’est fixés, en concertation avec ses parties prenantes, sur les quatre dimensions de la Responsabilité sociale des Entreprises (RSE) : économique, sociale, sociétale et environnementale. Ainsi voit-on que la performance dans le cadre de l’ESS doit intégrer, dans un même mouvement, la performance sociale, qui pose la question de la place de l’homme dans l’entreprise, et la performance sociétale, qui s’appuie sur la contribution de l’entreprise au développement de son environnement et s’interroge sur sa place dans la société. Dans cette perspective, pour déceler ou pour évaluer la performance d’une entreprise de l’ESS, un ensemble d’indicateurs sont à mobiliser. Parmi eux, on retrouve la participation des parties prenantes à la construction de l’entreprise, à son évolution, à sa stratégie, à ses processus de décision et le dialogue entre ses différentes parties prenantes. De plus, la question de l’innovation sociale, du respect de l’environnement ainsi que les relations clients et fournisseurs sur une éthique équitable et durable s’avèrent incontournables dans le cadre d’une telle évaluation. Outre ces aspects de la performance globale, d’autres dimensions qui s’appliquent généralement aux entreprises classiques sont à prendre en compte puisque les entreprises de l’économie sociale et solidaire s’inscrivent dans une perspective marchande et sont comme des entreprises à part entière. C’est le cas par exemple de la performance financière et de la performance organisationnelle. Au niveau du premier, l’entreprise de l’ESS doit faire en sorte d’être rentable, car pour rester sur le marché, les questions financières s’avèrent nécessaires. Au niveau du second, à savoir la performance organisationnelle, l’entreprise de l’ESS doit faire en sorte de rester à la hauteur en ce qui a trait à la qualité de la production, de la flexibilité ainsi que des délais.
En somme, nous pouvons affirmer que les entreprises de l’économie sociale et solidaire comme « mode d’entreprendre » qui se différencie et se rapproche en même temps des entreprises privées capitalistes et des entreprises publiques, ont des défis à relever. Concilier dimension économique et finalité sociale et se situer en même temps dans une perspective d’utilité sociale en investissant sur le marché n’est pas une chose aisée. Les entreprises de l’ESS se retrouvent dans l’ultime obligation d’être performantes à plusieurs niveaux, que ce soit sur le plan social, organisationnel, financier, et économique afin d’assurer leur développement. Cependant, elles doivent faire en sorte de ne pas trop s’écarter de leur ancrage et de leur mission qui est de promouvoir de façon large l’émancipation humaine. Ainsi, nous ne dirions pas que ces entreprises doivent prioriser une dimension sur une autre, mais ces dernières doivent mettre l’accent sur les valeurs qui font leurs spécificités. Ainsi, au prisme de cette réflexion, nous pouvons dire que, dans le cadre de l’évaluation de la performance des entreprises de l’ESS, l’emphase doit être mise sur les indicateurs de performances sociales et sociétales qui en quelques sortes constituent l’ancrage de ces institutions, la raison d’être de leur avènement. Toutefois, il ne faut pas écarter les indicateurs économiques et financiers qui sont des paramètres visant à les rendre pérennes et d’assurer leur développement.
[1] Le CNLAMCA créé en 1970 est aujourd’hui connu sous l’appellation de CEGES défini comme le Conseil des Entreprises, Employeurs et Groupements de l’Economie sociale (CEGES). Ce regroupement est un syndicat d’entreprises de l’économie sociale et solidaire en France.
[2]: RSE, performance globale et compétitivité Rapport du sous-groupe de travail au sein du groupe de travail « La RSE, levier de compétitivité et de mise en œuvre du développement durable, en particulier pour les TPE-PME » (GT1) Secrétariat permanent Camille PHE – France Stratégie)
Bibliographie
- Demoustier, D. & Malo, M. (2012). L’économie sociale et solidaire, une économie relationnelle ? Questions d’identité et de stratégie !. Dans : Emmanuel Bayle éd., Management des entreprises de l’économie sociale et solidaire: Identités plurielles et spécificités (pp. 15-37). Louvain-la-Neuve: De Boeck Supérieur. https://doi.org/10.3917/dbu.bayle.2012.01.0015“
- Girodot, J.-L. (2001). Chronique de La Lettre de l’économie sociale : trois moisd’actualités, octobre-décembre 2000. Revue internationale de l’économie sociale,(279), 5–10. https://doi.org/10.7202/1023750ar
- Crutzen, N. & van Caillie, D. (2010). Le pilotage et la mesure de la performance globale de l’entreprise: Quelques pistes d’adaptation des outils existants. Humanisme et Entreprise, 297, 13-32. https://doi.org/10.3917/hume.297.0013