La dégradation de l’environnement est un sujet qui fait couler beaucoup d’encre en Haïti. Tant dans les travaux de recherches des étudiants de master ou de licence tant dans les émissions radio-télé. Cependant, jusqu’à ce jour, ils sont très peu les efforts qui ont été déployés dans la lutte contre ce phénomène. En effet, les autorités étatiques et la population pataugent dans la négligence, personne ne voit l’environnement qui croule sous leurs yeux. Ce ne sont pas les alertes ou les rapports d’experts qui manquent. Chaque année, dans les saisons pluviales, nous assistons à des pertes matérielles et en vies humaines énormes. Malgré tout, nous continuions à obstruer les canaux par nos ordures, celles-ci sont exposées à chaque coin et recoin. Aujourd’hui, c’est une question qui dépasse l’Etat haïtien et presque toutes les villes du pays souffrent de l’inefficacité des mairies ou de l’SMCRS dans la gestion des ordures. Nous continuons d’abattre les arbres pour en faire du charbon, cela ne dit rien à personne ; les flancs de nos mornes sont presque tous chauves, en particulier ceux du département de l’Artibonite. La législation en vigueur sur la question de la protection de l’environnement reste muette, car nous en faisons peu de cas. Nous avons une épée de Damoclès sur nos têtes, au lieu de l’esquiver nous jouons avec.
Conscient de cet état de fait et voulant attirer l’attention du public en général sur ces malheurs, le Firmin, dans un entretien, a interrogé le Docteur Maismy-Mary FLEURANT, spécialiste en droit international de l’environnement sur la problématique, les menaces écologiques, l’irresponsabilité de l’Etat et de la population.
Le Firmin : Parlez-nous un peu de vous professeur ?
Maismy-Mary FLEURANT : Je suis un avocat, professeur des Universités. J’enseigne actuellement à la Faculté de droit, des sciences économiques et de gestion du Cap-Haïtien (UEH). Je suis Docteur en droit de l’Université Laval. J’ai fait ma licence en droit à l’École de droit de Fort-Liberté (UEH). Je suis aussi titulaire d’un Master en Droit International et Comparé de l’Environnement de l’Université de Limoges et d’un Master en Droit International et Européen des Droits Fondamentaux de l’Université de Nantes.
Comme expérience professionnelle notable, J’ai été Conseiller Spécial du Ministre de la Planification et de la Coopération Externe d’Haïti d’avril 2016 à septembre 2018, Spécialiste national des droits de l’homme au Bureau du Haut-Commissariat des Nations unies pour les droits de l’homme en Haïti de 2005 à 2015, professeur à l’École de droit de Fort-Liberté, professeur à l’Université Publique en région du Nord-est et professeur à l’Université Jean Price-Mars (Ouanaminthe). J’ai aussi enseigné au niveau du secondaire à Ouanaminthe et Fort-Liberté.
Je suis aussi l’auteur d’un ouvrage sur la gestion durable des cours d’eau transfrontaliers d’Haïti et de la République Dominicaine paru en 2014 et édité par le Centre de Recherche, de Réflexion, de Formation et d’Action Sociale (CERFAS).
Vous venez de soutenir votre thèse doctorale à l’université Laval sur le droit d’environnement. Pourquoi une telle spécialité ?
C’est dans l’ordre des choses. J’ai fait une maîtrise en droit international de l’environnement et il était normal que je fasse mon doctorat dans ce domaine. Il faut dire que la situation générale de la planète et la situation environnementale d’Haïti ont été et sont toujours une source de préoccupation et de recherche pour moi. J’ai voulu voir comment le droit peut aider à faire face à ces grandes crises qui affectent l’avenir de l’humanité et mettent en péril la survie des générations futures. Au rythme où l’on va si rien n’est fait, l’humanité court au désastre.
En quoi votre recherche peut elle être utile au pays ?
Ma thèse porte sur le rôle du droit dans l’adaptation de l’agriculture haïtienne aux changements climatiques. Haïti est l’un des pays les plus vulnérables au réchauffement général de la planète. L’indice de risque climatique à long terme de GermannWatch de l’année 2019 place notre pays au quatrième rang des pays les plus affectés par les risques climatiques sur la période comprise entre 1998 et 2017. Nous pouvons citer comme conséquences de ce phénomène la baisse de la biodiversité, les inondations côtières, les ouragans avec leur lot de dégâts matériels et humains, la baisse dans la disponibilité et la qualité de l’eau, etc. L’agriculture est sans nul doute le secteur le plus touché. Les phénomènes météorologiques extrêmes occasionnés par les changements climatiques comme les ouragans ou la sécheresse par leurs effets désastreux réduisent la production agricole et accentuent l’insécurité alimentaire dans le pays. L’État se doit de prendre des mesures pour l’adaptation de son agriculture. Il faudra aussi un cadre législatif pertinent pour aider à atteindre ces objectifs. C’est ce que je propose dans ce travail.
Au regard de la législation haïtienne, en quoi peut-on dire que l’État haïtien a failli dans sa mission de lutte contre les dégradations de l’environnement ?
La législation environnementale haïtienne peut paraître abondante. Elle est cependant inadaptée, dépassée et pauvre dans ses dispositions. On a longtemps eu une législation éparse sur la pêche, les forêts, les cultures, les mines et autres problématiques environnementales. Cependant, cette législation ne peut pas répondre aux urgences environnementales actuelles. Le Décret du 12 octobre 2005 portant sur la Gestion de l’Environnement est une évolution notable dans le cadre législatif national. Cependant, c’est un décret-cadre avec des dispositions d’ordre général sans sanctions véritables pour les dommages faits à l’environnement. Le législateur haïtien n’a pas fait un travail de qualité. Il n’a pas contribué à moderniser notre arsenal législatif pour une meilleure prise en compte de nos problèmes environnementaux. On compare la législation environnementale actuelle haïtienne à un tigre de papier qui ne donne pas les moyens d’une vraie protection de notre environnement. La législation haïtienne en l’état ne peut efficacement aider dans la lutte contre les dégradations environnementales.
Aujourd’hui peut-on dire que l’on est en danger écologiquement ? Si oui, en quoi et comment ?
La situation environnementale haïtienne est inquiétante et alarmante. On a peur de passer un seuil, une situation irréversible. Haïti est aujourd’hui en situation de stress hydrique. La déforestation et le déboisement nous font courir le risque de désertification de la majeure partie du territoire, les forêts occupant à peine 1,3% de la surface totale du pays. La baisse de la diversité biologique avec l’extinction de plusieurs espèces d’animaux endémiques est inquiétante. Nous voyons aussi la pollution qui affecte les principales villes du pays. La population vit au milieu des ordures. Toutes sortes de pollutions, sonores, atmosphériques, visuelles, affectent la santé et le bien-être des populations. On se demande comment on peut encore vivre dans des villes si sales. C’est tout le territoire qui vit une grave crise environnementale.
Comment impliquer la jeuneuse (élèves, étudiants) dans la lutte contre les dégradations de l’environnement ?
Il ne s’agira pas seulement d’avoir des programmes sur l’écocitoyenneté dans les manuels scolaires haïtiens. Il faut une vraie prise de conscience du danger qui nous guette. Les enfants haïtiens doivent être imprégnés du devoir de protéger leur environnement. Au niveau universitaire, il faut des programmes et des projets spécifiques à la protection de l’environnement. En plus de l’enseignement spécifique dans les facultés et écoles supérieures, il faut établir des équipes multidisciplinaires pour la recherche environnementale. L’Université doit chercher, innover, proposer des solutions pour faire face à cette crise environnementale. Nous ne pouvons pas sortir de ce tunnel sans la conscientisation, la vulgarisation, le savoir et la recherche.
Si vous avez une proposition aux autorités haïtiennes, ce serait quoi ?
Je dirais aux autorités haïtiennes qu’il faut agir maintenant. Nous ne pouvons plus tergiverser. Je leur dirais surtout que les petites mesures cosmétiques ne peuvent pas marcher. Il faut le courage de poser le problème de la dégradation accélérée de l’environnement haïtien qui menace notre survie de peuple. L’État doit faire de la protection de l’environnement une priorité et se donner les moyens matériels et financiers pour atteindre ses objectifs. Nous ne pouvons plus attendre. Il faut mobiliser les ressources humaines adéquates pour réussir ce pari.
Propos recueillis par Renel ROSENE, juriste