Monsieur le Président,
Je suis l’un des sans-noms exilé dans son propre pays. Je suis l’un des prisonniers sans-noms piégé par l’existence dans une prison de 27 750 Km2. Je fais partie de ces milliers de nègres qui viennent de nulle part et qui ne connaissent pas leur histoire. Ma présence brille au milieu de tous les haïtiens que vous oubliez complètement sur le territoire national. Cependant, je me permets de vous écrire. Je prends la liberté de le faire parce que j’ai encore un cœur qui bat.
Monsieur le Président, Tout-puissant, vous qui détenez le pouvoir de vie et de mort, vous qui réduisez toutes les institutions républicaines sous vos commandements, vous qui agissez selon vos passions – souvent funestes – et vos désirs, lorsque j’ai eu l’idée de vous écrire la peur m’a envahi. J’ai peur de ne pas rendre malheureux tous mes proches qui ne veulent pas me perdre et qui m’ont carrément déconseillé de vous écrire. Par ailleurs, j’ai ressenti l’urgence de vous soumettre ces mots. En effet, je l’ai ressentie comme cet enfant du désert surpris par une diarrhée au beau milieu de la nuit qui n’a d’autre choix que de marcher seul, pour se rendre à la rivière. Je suis seul. Il fait réellement nuit dans le pays que vous avez promis d’électrifier mais je n’ai qu’une alternative : traverser mes angoisses et mes peurs les plus profondes en quête de mots respectueux pour vous présenter mes plus sincères compliments !
Monsieur le Président, Tout-puissant, je ne peux m’éterniser dans un silence sans vous témoigner ma gratitude. J’ai d’abord pris le temps pour compter vos bienfaits à l’égard des autres haïtiens qui vous regardent droit dans les yeux pour vous rappeler que vous n’êtes qu’un tout-puissant avec un petit ‘t’. Ils ont foulé le macadam à plusieurs reprises et vous les permettez d’entrer debout dans l’immortalité. Ah oui, nombreux sont les jeunes qui partent vers d’autres horizons plus prometteurs. Vis éternellement sa majesté ! J’ai contemplé en silence vos barbaries jusqu’à ce que « absè a pete nan bouda m » sans n’avoir jamais hurlé « peze » lorsqu’un autre souffre avec. Ainsi, le 17 novembre 2020 vers 6 heures et quelques minutes, là à Petite-Anse, j’ai failli perdre ma vie. Parfois je me demande bien à quoi sert la vie d’un homme qui meurt à petit feu ! Alors que je rentre de chez moi en voiture en compagnie de sept proches, des hommes lourdement armés nous ont accueillis avec une forte pluie de bouteilles, de pierres et surtout de nombreux tirs.
Monsieur le Président, tout-puissant, Réformateur par excellence, je vous envoie une gerbe de fleurs pour l’union que vous facilitez entre une partie de la police nationale et le fameux G9 et alliés. – C’est si vrai les membres du G9 aident beaucoup la police nationale lorsqu’elle lance certains avis de recherche. L’union fait la force n’est-ce pas ? Vous avez de la couille ! Des heures après l’attaque armée, minuit et quelques minutes, la voiture était encore sur la route. Ignorant la parfaite union susmentionnée, j’ai beau appelé la police nationale. L’homme avec qui j’ai échangé des propos nous a même garanti qu’il viendrait nous chercher – puisqu’on ne pouvait pas laisser la zone – mais ce n’était que du mensonge. Découragés, battus tel un amoureux trompé, nous nous allongeons sur une natte chez une bonne samaritaine. Et lorsque nous nous sommes réveillés vers 6 heures du matin, la voiture n’était plus là.
Monsieur le Président, tout-puissant, le justicier de Me Dorval, admettons que vous n’étiez pas au courant puisque votre femme ne vous a pas encore montré la vidéo de ce drame. Admettons que ce n’était pas les hommes de votre bande qui opéraient cette nuit-là. Mais, si vous ne pouvez même pas sécuriser les citoyens du pays, qu’est-ce que vous faites au palais national, ton unique royaume ? En fait, vous avez promis que vous ferez tout pour rendre justice au bâtonnier lâchement battu non loin de votre résidence privée. Alors, je vous en prie Monsieur le Président, tout-puissant, faites quelques choses afin que nos agresseurs soient arrêtés et jugés correctement. Jusqu’à présent j’ai ressenti, et j’avoue, de douces douleurs comme lorsque je lisais pour la première fois le « Dernier jour d’un condamné » de Victor Hugo.
Encore une fois, Monsieur le Président, tout-puissant avec un petit ‘t’, je vous remercie.
MICHEL Rood Inley