La protection de la biodiversité à l’échelle nationale

La gestion des ressources naturelles à travers le monde devient de plus en plus prioritaire et la lutte pour la gestion de la biodiversité ne cesse de poser de grandes préoccupations. En Haïti, pays du sud, la protection de la diversité biologique reste un véritable casse-tête chinois car une grande partie de la population du pays dépend directement de ces ressources et en font un usage excessif. Jusqu’à maintenant, Haïti, pays signataire de la convention de Rio semble ne pas prêter grande attention à ce sujet. Malgré les différentes lois disponibles sur ce sujet, la biodiversité du pays n’est pas vraiment protégée malgré sa richesse.


Une diversité biologique tout à fait extraordinaire

La classification écologique de Holdridge (1967) permet d’identifier neuf écosystèmes de premier ordre en Haïti, c’est-à-dire autant de zones de vie différentes que celles rencontrées en République Dominicaine (Victor, 2010). Selon le 6e rapport national sur la biodiversité publié en avril 2019, le pays dispose de 2000 espèces d’animales avec un taux de 75% d’endémisme et environ 5600 espèces de plantes vasculaires dont 36 % endémiques. Scott (cité dans MdE, 2019) avait fait remarquer que le pays dispose de la deuxième flore la plus diversifiée des Caraïbes après Cuba et ceci malgré les ravages de la déforestation. La richesse de la diversité biologique du pays le rend particulier et d’ailleurs c’est pour cela qu’il fait partie du Hotspot des Caraïbes, ce qui signifie les points de forte concentration de la diversité biologique du globe (Gentes et Vergara-Castro, 2015). Il existe en Haïti et dans l’épicentre des Caraïbes, des sites irremplaçables de biodiversité (CEPF, cité dans Gentes et Vergara-Castro, 2015). Cependant l’exploitation dont on fait en Haïti semble mettre en danger différentes espèces, parmi lesquelles des espèces qui se trouvent sur la liste rouge de l’UICN.

Une réduction qui se fait au fur mesure sans des interventions concrètes

Les différentes études réalisées dans ce domaine sur Haïti se joignent tous sur le fait que le pays dispose d’une biodiversité exceptionnelle qui mérite d’être protégée à tous les niveaux. Mais il semblerait que les différents appels à la protection des espèces sont très loin d’être entendus. Pour parvenir à protéger l’être vivant, il faut non seulement protéger l’être vivant en soit ensuite son habitat ne peut être négligé car ils forment une sorte de symbiose. Les différentes espèces d’animaux ne sauraient vivre sans leurs environnements. Dans le cas contraire elles seraient appelées à migrer vers un autre espace avec le même habitat ou sinon elles disparaitraient. On peut clairement voir la réduction des Orang-Outangs à travers le monde avec la réduction de leurs habitats pour la production de l’huile de palme. En Haïti les habitats des animaux ne cessent de diminuer à travers le temps. Par exemple pour les mangroves, la surface est passée de 19.450 ha en 1956 à 15.000 ha en 1998 (FAO, 2005) pour atteindre 14.2243 ha en 2019 (MdE, 2019). Pour beaucoup cela peut paraitre très peu mais cela représente 1.31 fois la quantité des mangroves que possède Caracol qui représente la deuxième réserve de mangroves dans la république d’Haïti avec 3990 ha après celles de l’Estère. Le déboisement qui se fait à un rythme vertigineux et l’extraction des blocs de récifs représentent entre autres des éléments qui facilitent la réduction de la biodiversité dans le pays, car ces derniers sont considérés comme des habitats précieux pour les animaux. Selon ANAP (cité dans Gentes et Vergara-Castro, 2015), sur 228 espèces de la liste de l’UICN pour l’Île d’Haïti, presque de 50 % (119) ont disparu en Haïti. Gentes et Vergara-Castro (2015) avait écrit :

« Considérant les caractéristiques relictuelles des espèces et écosystèmes haïtiens, beaucoup plus d’espèces sont en danger d´extinction. Et ceci est lié en grande partie à la fragilité des écosystèmes qui perdent de leur qualité, voire disparaissent sous la pression de : l’agriculture, l’évolution démographique, l’introduction d’espèces exotiques, l’exploitation abusive des espèces autochtones et les changements climatiques ».

Une protection totalement inefficace

Tant au niveau terrestre qu’au niveau marin, Haïti représente un véritable trésor écologique. Cela laisse clairement comprendre qu’à l’échelle nationale nous avons une diversité biologique tout à fait extraordinaire qui mérite d’être protégée. Mais malgré la richesse de la diversité biologique dans le pays et les différents constats à travers plusieurs études réalisées sur la réduction de la biodiversité, il semblerait que nous ne sommes pas trop pressés à prendre des mesures concrètes et urgentes. L’absence de mesures concrètes et urgentes s’exprime surtout à travers l’ineffectivité des lois disponibles et une pauvre existence de lois dans certains domaines.

L’ineffectivité des lois disponibles et pauvre existence de certaines autres

Malgré le fait que nous possédons certains instruments juridiques qui pourraient nous aider à protéger les écosystèmes et la biodiversité, ceux-ci demeurent mal organisés, méconnus d’une grande partie de la population avec une jurisprudence quasi inexistante. 80 % du total des textes recensés concernent les arbres et les aires protégées (Jeudy, 2013) alors que spécifiquement sur la diversité biologique il en existe très peu. Depuis la publication de la loi relative à la pêche en Haïti qui a mentionné l’interdiction de pêcher certaines espèces dans leurs saisons de pontes, aucun autre document juridique dans le pays n’a réellement mentionné des espèces en danger ou en danger critique d’extinction. Le plus grand problème auquel fait face la biodiversité et les écosystèmes est le problème de l’application des lois. Il existe des lois mais elles sont ineffectives. L’absence de lois spécifiques à la biodiversité a été compensée par la présence de la création de certaines aires protégées mais malheureusement nous avons des zones d’importance qui ne sont pas des aires protégées. Mais pour réellement avoir une aire protégée il faut respecter et faire respecter les lois et les règlements, adopter des règles de gestion propres au site concerné et se donner une claire conscience des objectifs poursuivis (Jeudy, 2013). Cependant le respect des lois dans le pays reste une chose fictive. La création des aires protégées pour essayer de sauver les écosystèmes clés de la république est quelque chose de merveilleuse sauf que ces aires protégées ne sont en aucun cas protégées.Certains des espaces considérées comme des aires protégées dans le temps ont déjà disparu ou sont sur la voie de disparaitre. On peut prendre le cas de la forêt de Saint Raphaël qui a été déclaré Forêt Nationale Réservée le 30 avril 1926 ou encore le morne du Haut du Cap considéré comme Forêt Nationale Réservée par Arrêté du 15 mars 1947 qui est sur le point de disparaitre à cause de la déforestation et de l’urbanisation.
Plusieurs textes juridiques sont disponibles sur la déforestation mais on peut clairement voir que ces lois ne sont disponibles que de nom car il n’y a aucune application. Dans l’article 1er de l’Arrêté du 10 janvier 1933 il est clairement écrit :« Dans les terrains en montagne dont la pente est rapide, sur les berges des rivières dans une largeur de cinquante mètres de chaque côté, sur la crête des montagnes et dans une largeur de cent mètres de chaque côté de la ligne de partage des eaux, en amont des sources et dans un rayon de cent mètres, aucun arbre ou groupes d’arbres ne peut être endommagé, coupé, déraciné ou brulé sans une autorisation spéciale du Commandant du sous-district donnée à l’intéressé par l’intermédiaire de l’officier de la Police Rurale, après avis formel du Service National de la Production agricole et de l’Enseignement Rural ».

Dans l’article 4 du Décret-Loi du 23 juin 1937 sur la règlementation des forêts il est écrit :
« Il est interdit quel que soit l’endroit où ils poussent de procéder à la coupe, à l’abattage, de l’écorchage ou à l’incision des pins, des acajous, des gaïacs, des chênes, des cèdres ou de toutes autres espèces qui pourront être désignées par le S.N.P.A. & E.R., autrement que dans les conditions qui seront prescrites par ce Service. Il est également interdit sur tout le territoire de la République d’arracher ou de détruire les cafiers sans une autorisation du S.N.P.A. & E.R. »L’article 3 de la Loi du 17 aout 1955 règlementant la coupe, le transport et le commerce du bois et four à chaux a aussi tenté d’empêcher la destruction des arbres en déclarant cela :« Il est interdit de procéder à la coupe, à l’écorçage ou à l’incision des arbres de toutes espèces, quel que soit l’endroit où ils poussent, sans une autorisation préalable, spéciale et écrite d’un Agent qualifié du Département de l’Agriculture et suivant les conditions stipulées dans la dite autorisation, entre autres, le remplacement de chaque arbre abattu par dix (10) autres, compte tenu de la saison ».

Cependant cette loi avait fait exception de l’écorçage des mangliers; de la coupe des espèces suivantes telles : bayahonde, campêche, guatapana, bois cabri, croissant dans les terres de plaines, quand la coupe est faite en vue de l’utilisation industrielle du bois ou de la préparation des terres pour la culture ; et au final, les arbres isolés dans les champs et paralysant la mécanisation des cultures.

Malheureusement les arbres qui sont considérés comme de précieux habitats ne cessent de disparaitre sur le regard complice des autorités qui ne veulent prendre aucune mesure concrète. En perdant les arbres c’est notre biodiversité qui est atteinte. Mais loin des écosystèmes terrestres, les écosystèmes marins subissent aussi des effets dévastateurs.

La capture des ressources halieutiques dans le pays se fait d’une manière irrationnelle qui va à l’encontre de tout principe de développement durable. Les méthodes utilisées empêchent la protection des espèces. Les articles 30 et 40 du Décret 27 octobre 1978 sur la pêche fixe la limite minimale pour les nasses et les filets à 16 mm bien que cela permet de capturer des espèces juvéniles l’article 29 du même décret avait déjà demandé de rejeter les petits poissons capturés à l’exception des sardines et des requins. Les pratiques de pêche a la lumière, au harpon et fusils et dans les zones d’alevinage et de reproduction des espèces. Certaines espèces comme les tortues, les carets et les crabes de mer sont interdites de captures pendant les saisons de ponte. L’écorçage des mangroves est aussi devenu illégal avec ce décret. La capture de la langouste est fermée du 1er avril au 30 septembre pour la protection de l’espèce. La capture de la petite lambi est aussi interdite, et dans les départements du Nord et du Nord-Ouest la capture de cette espèce est totalement interdite pour permettre à régénération (Art. 124). Et en ce qui a trait aux récifs coralliens l’article 100 du même décret en fait une interdiction totale d’exploitation pour quelle que soit la raison possible.

Conclusion

Il est clair qu’il nous faut mieux aménager nos lois et en publier de nouvelles sur certains écosystèmes particuliers comme ceux des mangroves et des récifs coralliens mais il faut malgré tout accepter que le plus grand problème de la biodiversité demeure l’application des lois. Nous avons un ensemble d’instruments juridiques qui auraient pu nous aider dans la lutte pour sauver la biodiversité dans le pays mais l’ineffectivité de ce instruments juridiques permettent la destruction des écosystèmes importants pour la sauvegarde de la biodiversité dans le pays. Les pratiques de pêche non conventionnelles, l’extraction des blocs de récifs partout à travers le pays, la déforestation sont des éléments qui démontrent clairement une irresponsabilité envers la biodiversité. Aujourd’hui des espèces en voie d’extinction ou en danger continuent d’être exploitées sans aucun souci. Le cas du Badèche Bonaci, du mérou de Nassau et du Caret mentionné là-dessus sont des exemples concrets. Maintenant ce qu’il nous faut c’est une responsabilité envers la biodiversité en mettant sur pied de solides structures pour sa protection.

Roll Emile Ludwill
Géographe et avocat
Gestionnaire de projet
Assistante Ressources Humaines
Éditeur de presse

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Bibliographie

  1. Arrêté du 10 Janvier 1933 prescrivant des mesures pour la protection et la conservation des forêts tant du domaine de l’Etat que du domaine des particuliers. No. 4 du 12 Janvier 1933.
  2. Daniel Jeudi, 2013, Analyse des Lois Haïtiennes en relation avec la biodiversité avec emphase sur les ressources naturelles et les aires protégées.
  3. Décret 27 Octobre 1978 sur la pêche Moniteur. No 81
  4. Décret-Loi du 23 Juin 1937 sur la règlementation des forêts. Moniteur No. 51
  5. FAO, 2005, Évaluation des ressources forestières mondiales : Etude thématique sur les mangroves, Haiti.
  6. Gary Victor, 2010, Analyse du cadre légal et institutionnelle relatif a la gestion durable des terres
  7. GENTES, Ingo & VERGARA-CASTRO Jorge, 2015, Gouvernance environnementale en Haïti : Le défi d´assurer la diversité écologique parmi beaucoup d’intérêts, en Revista Espacios Transnacionales [En ligne] No. 4, enero-junio 2015, Reletran. Disponible sur: http://www.espaciostransnacionales.org/cuarto-numero/gouvernanceenHaiti/
  8. Loi du 17 aout 1955 le règlementant de la coupe, le transport et le commerce du bois et four à chaux. No. 87
  9. Ministère de l’Environnement (MdE), 2019, Sixième rapport national sur la biodiversité d’Haïti.

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