Vulnérabilité des villes haïtiennes face aux effets néfastes du changement climatique : Cas de la ville du Cap-Haïtien

Les  changements climatiques constituent de nos jours l’un des problèmes qui rongent les villes haïtiennes. Ces problèmes ne font que rendre les milieux urbains du pays de plus en plus vulnérables et, dans une certaine mesure, pourraient avoir de façon indirecte d’énormes retombées sur la vie des êtres humains qui y habitent.

Depuis plusieurs décennies, certaines villes d’Haïti ne cessent de devenir de moins en moins vivables. L’encombrement des canaux et égouts par des déchets de toutes sortes, multiplication des bidonvilles et des quartiers précaires, triomphe de l’insalubrité et de la construction anarchique, la mauvaise gestion des déchets, etc. constituent, entre autres, les problèmes liés à la croissance rapide de la population de ces dernières. Hormis ces problèmes d’ordre sociodémographique, les villes du pays sont aussi très vulnérables face aux effets néfastes des changements climatiques.

Fondée en 1670 par Bertrand d’Orgeron, la ville du Cap-Haïtien – connue sous le nom de « Guarico » sous les Espagnols, et devient « Cap Français » pendant la période de colonisation Française et Cap Henri sous le règne du Roi Henri Christophe, avant d’être nommée « Cap-Haïtien » – est l’une des plus anciennes villes d’Haïti. Elle a une superficie de 54 km2 et une population qui s’élève d’environ 300 000 habitants, soit une densité 5 500 habitants au km2 (IHSI, 2016). La ville du cap Haïtien est le chef-lieu du département du Nord, elle est composée de trois (3) sections communales : Haut du Cap, Bande du Nord et Petite-Anse. La ville du Cap-Haïtien est limitée au Nord par l’Océan Atlantique, au Sud par les communes de Milot et de Plaine du Nord, à l’Ouest par la commune de Plaine du Nord et à l’Est par les communes de Quartier-Morin et de Limonade. Elle se situe entre 19.46 degrés de Latitude Nord et 72.12 degrés de Longitudes Ouest. Son élévation (altitude) moyenne est de 33 mètres.

Selon le Programme des Nations Unies pour le Développement, Haïti est considéré comme étant l’un des pays les plus vulnérables de la Caraïbe face aux enjeux des changements climatiques (PNUD, 2015). D’une part, cette vulnérabilité s’explique par la multiplication des cas de maladie contagieuse, la perte considérable de la biodiversité, les inondations à répétition, mais aussi par rapport au déplacement massif de certaines personnes vulnérables vers les villes, notamment la ville du Cap-Haïtien. D’autre part, elle pourrait être expliquée par la façon dont les collectivités territoriales haïtiennes gèrent les questions portant sur l’aménagement du territoire et l’urbanisme, la protection de la biodiversité, l’exploitation des ressources naturelles, la gestion des aires protégées, etc. 

Il est clair qu’aujourd’hui le dérèglement du climat pose beaucoup de problèmes aux villes haïtiennes – notamment la ville du Cap-Haïtien – tant sur le plan économique qu’environnemental. Cap-Haïtien, comme toutes les autres villes du pays, est régulièrement touché par des tempêtes et des cyclones et par voie de conséquences, les glissements de terrain et les éboulements. Certains cyclones comme : Flora (1963), Inès (1966), David (1979), Gordon (1994), Jeanne (2004), Ike (2008), Isaac en 2012 et tout récemment Matthew en 2016 ont produit des dégâts matériels et humains qui sont encore présents dans la mémoire collective de la population Haïtienne (OIM, 2015, p. 11).

L’ouragan Matthew a été le sinistre le plus ravageur qu’ait connu le pays depuis le tremblement de terre de 2010. Des vents violents, des pluies torrentielles et des ondes de tempête dévastatrices ont provoqué des inondations, des glissements de terrain et d’importants dégâts matériels et la destruction des moyens d’existence, en particulier dans les départements de la Grande-Anse, des Nippes et du Sud. Hormis ces départements, l’ouragan Matthew a aussi frappé de façon violente les régions côtières du département du Nord d’Haïti. Ainsi, la ville du Cap-Haïtien – considérée comme étant la ville la plus vulnérable du département face aux risques cycloniques – a aussi été touchée au passage de cet ouragan. Une évaluation rapide entreprise par les pouvoirs publics avec l’aide de la Banque Mondiale et de la Banque Interaméricaine de Développement a estimé que les dégâts et pertes pourraient atteindre jusqu’à 1,9 milliard de dollars, soit 22 % du Produit Intérieur Brut (PIB) du pays (Banque Mondiale, 2017). Toutes ces conséquences – sans compter l’exposition de la ville du Cap-Haïtien face aux risques sismiques – peuvent être considérées comme tant de facteurs qui sont à l’origine des désastres écologiques et des problèmes socioéconomiques alarmants (perte de la biodiversité, raréfaction de certaines espèces endémiques, vulnérabilité des zones périphériques, multiplication des quartiers précaires, accélération du phénomène de la pauvreté, etc.) que cette ville a connu au cours de ces trente dernières années.  

Il est à souligner que les problèmes liés aux changements climatiques impactent à la fois les pays développés (riches) que sous-développés (pauvres). Ils touchent beaucoup plus les pays pauvres dans la mesure où ces derniers possèdent moins de moyens techniques et financiers pour faire face aux effets néfastes du phénomène. Ainsi, Haïti, considéré par plus d’un comme étant le pays le plus pauvre de l’hémisphère Nord, n’échappe pas à cette règle. Elle (Haïti) fait partie des Petits États Insulaires en Développement (PIED) qui, selon de nombreux chercheurs, constituent les pays les plus vulnérables face aux changements climatiques. Ces plus grandes villes (Port-au-Prince, Cap-Haïtien, les Cayes, les Gonaïves, Jacmel, etc.) ne sont plus en mesure de fournir des biens et des services pouvant répondre aux besoins de leur population. À l’heure actuelle, une forte proportion des habitants de la ville du Cap-Haïtien n’a pas accès aux services sociaux de base : éducation de qualité, eau potable et assainissement, infrastructures routières et portuaires efficaces, etc.

D’un autre côté, les activités de pêche – considérées comme l’un des principaux secteurs productifs de revenus au sein de la ville du Cap-Haïtien –  sont aussi menacées par les effets des changements climatiques. Il faut aussi souligner que les matériels de pêche qu’utilisent les pécheurs sont très archaïques. Il s’agit pour la plupart de nasses et de sennes à mailles très réduites ce qui, dans une certaine mesure, ne laisse aucune possibilité de survie aux petits poissons. Beaucoup d’études menées par de nombreuses institutions (TNC, FoProBiM et autres) opérant dans le domaine de la conservation et la protection de la biodiversité marine montrent que les cyclones, les vents et les tempêtes à répétition ont eu de nombreuses répercussions sur la vie des espèces animales et végétales évoluant dans le milieu marin. Tout ceci, de façon directe et indirecte, aura de nombreuses incidences sur le système de pêche en général et sur l’économie de la ville en particulier.

Par rapport à tous ces constats, il est clair que les effets des changements climatiques ont de nombreux impacts sur les villes haïtiennes – notamment la ville du Cap-Haïtien – et peuvent aussi, de façon indirecte, être à l’origine des problèmes liés à la vulnérabilité socioéconomique aiguë que connaissent ces dernières depuis quelque temps. Ces villes, à cause de leur croissance démographique accélérée survenue par le déplacement des habitants de la campagne, sont en train de faire face à des problèmes qui surgissent des conséquences tant sur le plan socioéconomique qu’environnemental. Bien que certaines mesures ont été prises à l’échelle internationale (Conventions internationales pour le climat par exemple) en vue de venir en aide aux pays les plus vulnérables face aux changements climatiques – notamment les pays sous-développés comme Haïti –, les problèmes se sont aggravés au cours de la dernière décennie. Le gouvernement d’Haïti est pratiquement dans l’incapacité de venir en aide aux populations les plus démunies, notamment celles qui habitent dans les zones côtières. Pour l’exercice fiscal 2018-2019, seulement 6.8 % et 1 %, soit un total de 11.8 milliards et 972 millions de Gourdes sont alloués respectivement aux Ministères de l’Agriculture des Ressources Naturelles et du Développement Rural et celui de l’Environnement. Quant au Ministère de l’Intérieur et des collectivités Territoriales, seulement 2.3 % lui est alloué au budget national, soit un montant de 4 milliards de Gourdes. Pourtant, ce Ministère est chargé d’assurer le bon fonctionnement des collectivités territoriales. Et, à l’heure actuelle, est-il probable de penser que la ville du Cap-Haïtien pourrait redevenir ce qu’elle était autrefois : la Capitale du pays, la plus belle ville de la Caraïbe ?  Quelles sont les alternatives qui pourraient être envisagées pour pallier les problèmes que posent les changements climatiques sur cette ville ? Personne n’est en mesure de répondre à ces questions…

Anolex RAPHAEL  

  

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