Entretien avec Forestal Artial: il est temps de comprendre la société haïtienne à travers des auteurs haïtiens

Dans la semaine  du 12 au 16 avril 2021, au campus Henry Christophe de l’université d’État d’Haïti à Limonade a eu lieu une activité intitulée semaine du livre, cette dernière s’inscrive dans une logique de promotion de livres, particulièrement ceux écrits par des auteurs Haïtiens. Au cours de cette semaine, quatre ouvrages ont fait objet de réflexion à savoir: Gouverneurs de la rosée de Jacques Roumain; La vocation de l’élite de Jean Price-Mars ; De la réhabilitation de la race noire par la République d’Haïti d’Hannibal Price et de Compère Général Soleil de Jacques Stephen Alexis. Dans cet entretien Florestal  Artial (Le Prince), l’un des organisateurs et actuel responsable de programmation et d’animation à la bibliothèque du campus, nous parle de l’importance  de ce genre d’activité.

Qu’est-ce que la semaine du livre et des idées?

La « Semaine du livre et des idées » est une activité s’insérant dans le cadre d’une série d’activités que le Service Commun de la Documentation du Campus Henry Christophe de l’Université d’Etat d’Haïti à Limonade a mis sur pied en vue de rehausser la culture au sein dudit Campus.

Pourquoi avez-vous organisé cette activité?

Cette activité a été réalisée dans le but de réfléchir sur un ensemble de livres traitant la problématique haïtienne afin de mieux saisir la réalité sociale, culturelle, économique, politique et historique actuelle tout en profitant de faire renaitre les penseurs haïtiens qui sont négligés, et peu lus dans notre société.

Pourquoi avez-vous vous fait choix uniquement des livres écrits par des auteurs Haïtiens?

Pour paraphraser le Sociologue Jean Copans « il est temps pour que les pays d’Afrique soient les théoriciens de leurs pratiques ». De même qu’on peut dire qu’il est temps de comprendre la société haïtienne ou de saisir la pensée sociologique haïtienne à travers les théoriciens haïtiens. Donc, le choix des livres écrits par les auteurs haïtiens réside dans le fait qu’ils ont, dans leurs périodes, pensé et proposé une réflexion sur les faits sociaux haïtiens. Autrement dit, ce choix s’inscrit dans le cadre du rapatriement de l’explication du ‘’fait social haïtien’’ à travers des œuvres des penseurs haïtiens.

En quoi ces livres sont-ils pertinents pour une telle activité?

Il faut rappeler que l’activité a été portée sur quatre (4) ouvrages différents à savoir: Gouverneurs de la rosée de Jacques Roumain; La vocation de l’élite de Jean Price-Mars ; De la réhabilitation de la race noire par la République d’Haïti d’Hannibal Price et de Compère Général Soleil de Jacques Stephen Alexis.

Chacun nous aide à saisir le contexte haïtien à travers des problématiques différentes. Là où Gouverneurs de la rosée de Jacques Roumain traite la problématique de l’eau : symbole de la solidarité ou même de vivre ensemble ; l’œuvre  de Jacques Stephen Alexis, Compère Général Soleil, fait le prolongement, mais aussi la clôture de l’espoir entrouvert de Gouverneurs de la rosée en exposant le problème de la faim.

En somme, chacun de ses œuvres nous permet d’appréhender la réalité (sociale, économique, politique, culturelle et historique) actuelle.

Quels résultats espérez vous obtenir après avoir réalisé cette activité?

Apres avoir réalisé cette activité, on attend à ce que les participants prennent conscience de l’importance des penseurs Haïtiens et qu’ils sachent que le développement d’Haïti doit passer par une bonne maitrise ou une bonne compréhension de la pensée sociale haïtienne.

A noter que l’historien Michel Hector pense qu’un mouvement social est le seul moyen capable de changer ce pays, pays qui ne cesse, depuis sa naissance, de connaitre des crises incessantes. Pour lui, le pays est malade d’un mouvement social.

L’académicien, l’auteur de ‘’L’énigme du retour’’, Dany Laferrière, pour sa part, pense que le développement d’Haïti passera par la culture. Sur ce même ordre d’idée, nous pensons que ce dernier doit passer par une révolution culturelle et cette révolution culturelle dont nous parlons devrait être inspirée par des activités comme la ‘’Semaine du livre et des idées’’.

Êtes-vous satisfait par rapport au déroulement de cette première édition de la semaine du livre et des idées?

Tout à fait satisfait. Cette satisfaction vient du fait que les intervenants ont fait un travail méticuleux, dans le sens qu’ils ont très bien articulés leurs pensées. Notre satisfaction vient en plus de l’engouement dont ont fait montre les participants. Le fait qu’ils ont répondu massivement à notre invitation, cela traduisait déjà notre satisfaction.

Quel ampleur voulez-vous atteindre avec cette activité ?

Que cette activité serve d’élément prépondérant d’une  révolution culturelle grâce à la connaissance du milieu social haïtien étudié et/ou analysé par nos penseurs. Qu’elle serve en outre l’élément vivificateur pour la classe intelligentsia haïtienne.

De nos jours on remarque de moins en moins d’intérêt pour la lecture dans la société haïtienne, selon vous qu’est ce qui est à la base de tout cela ? Comment la semaine du livre et des idées peut-elle aider à remédier à cette situation?

Effectivement on remarque de jour en jour une sorte de désintérêt ou une sorte de désacralisation de la lecture au sein de notre société. Cette désacralisation peut être expliquée par différents facteurs. Premièrement, le rapport des haïtiens à la lecture. On peut, par une simple observation, remarquer que la connaissance a tendance à ne pas être utile dans la société haïtienne. Ce qui compte à présent c’est de laisser (à tout prix) le pays. La plupart des haïtiens pensent que la lecture est une perte de temps, perte de temps dans le sens que la lecture ne leur permet pas de gagner leur vie. Cette conception trouve son explication par rapport au résultat des gens qu’on définit comme « intellectuel ». Delà, on peut constater qu’il y a une faussée entre l’individu et le savoir, si on tient compte du fait que le savoir est livresque.

Le deuxième facteur pouvant nous permettre à appréhender ce phénomène est la naissance des nouvelles valeurs émises par la société moderne. De nos jours, on assiste à une forme de matérialisation des rapports, cette matérialisation trouve son essence sur la prédominance de l’argent et qui généralement effondre l’importance du savoir qui aurait pu découlé de la lecture.

Ce phénomène pourrait enfin être expliqué par la défaillance des institutions de socialisation par exemple : l’école. Cette dernière qui a pour mission la transmission du savoir et de la culture fait face à de très grandes difficultés. La quasi-totalité des écoles haïtiennes ne possèdent même pas une bibliothèque, or la bibliothèque (physique, virtuelle ou hybride) est la garante de l’accès au savoir. En plus, nous avons un système éducatif  moribond. Le fait que le système soit ainsi, cause que les individus manifestent de moins en moins de l’intérêt pour la lecture. En gros, le problème de désintérêt des gens par rapport à la lecture est un problème général, du coup, qui pourrait être compris comme un fait social, un fait social dans le sens qu’il est à la fois Général et régulier.

En tant que voies d’accès au savoir et à la culture, les livres occupent une place déterminante dans la société. Donc, la tendance à désacraliser la lecture est suicidaire, suicidaire à la fois pour l’individu en particulier et la société en général. La semaine du livre et des idées est un vecteur pouvant remédier cette situation. Elle doit, comme activité intellectuel, être aussi un facteur de motivation à la lecture.

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